Dans le cadre de la préparation du volet parlementaire de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), dont j’avais la charge, j’ai souhaité organiser une conférence interparlementaire européenne sur le thème du spatial et du numérique. Initialement prévue à Toulouse, capitale de l’espace, elle a dû être reportée en raison de la crise sanitaire et a eu lieu en visioconférence ce mercredi. 

L’Union européenne dispose d’une politique spatiale qui s’inscrit pleinement dans l’objectif de mise en place de l’« autonomie stratégique ». Les enjeux spatiaux évoluent profondément depuis les prémices des premières politiques, il y a soixante ans : le développement du NewSpace, à travers la présence toujours plus importante d’acteurs privés en mesure d’agir tout autant que les États, en est la preuve. Le spatial revêt aujourd’hui des enjeux politiques, économiques, militaires, environnementaux ; la France et l’Union européenne doivent rester dans la course, pour garantir notre autonomie stratégique.

Cette conférence s’inscrit dans la continuité du rapport pour une Europe stratège au service des citoyens, préparatoire de la PFUE, que j’ai a remis au Premier ministre en octobre (https://wp.me/p9FqiS-1Sx). Parmi ses recommandations, j’ai proposé d’assurer la mise en place rapide de la « constellation de    connectivité » – garante d’une souveraineté numérique européenne – portée par Thierry Breton, Commissaire européen. J’y défendais également le lancement des travaux concernant la prochaine génération de lanceurs spatiaux avec deux objectifs : garantir l’autonomie stratégique européenne et verdir la politique spatiale. Ces thématiques ont été au cœur de nos échanges.

L’espace fait rêver. Pour autant, sans que nous en ayons conscience, il est devenu essentiel à notre vie quotidienne et à la vie économique de la Nation ; avoir une porte ouverte sur l’espace est stratégique, une garantie de notre souveraineté.  

Discours de Madame Saint-Paul, vice-présidente de l’Assemblée nationale,

à l’ouverture de la Conférence sur le numérique et l’espace

– Mercredi 2 mars 2022 à 9h15 –

 

Mesdames et Messieurs les Présidents de commission,

Mesdames et Messieurs les parlementaires nationaux et européens,

Mes chers collègues,

C’est un grand honneur pour moi, au nom de M. le Président Richard FERRAND, de vous souhaiter la bienvenue à cette première conférence interparlementaire thématique organisée par l’Assemblée nationale dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

C’est un grand honneur aussi parce que, pendant six mois, l’Europe s’impose au centre de nos débats nationaux. Et il nous appartient, particulièrement à nous parlementaires, relais précieux entre le cénacle des spécialistes européens et nos concitoyens, de mieux faire comprendre ce qu’est l’Union. Comment elle peut s’affirmer et nous protéger des nouveaux risques majeurs, à l’heure où l’Europe est projetée, malgré elle, sur le devant de la scène internationale.

À cet égard, je veux ici, au nom de toute la Représentation nationale, répéter avec force notre totale solidarité avec le peuple ukrainien, et le sentiment commun qui nous étreint avec nos amis de l’Est de l’Europe, quand tant de souvenirs douloureux sont brutalement réveillés. Face à l’agression militaire de la Russie qu’elle condamne fortement et unanimement, l’Union européenne se tient fermement aux côtés de l’Ukraine et de sa population, qu’elle continuera à soutenir civilement et financièrement. Le lien qu’entretient notre Union avec la jeune démocratie ukrainienne est irrémédiable et dépasse notre accord d’association. C’est pourquoi, après avoir renforcé les sanctions contre la Russie l’Union va, pour la première fois, faciliter la délivrance d’armes létales en débloquant 450 millions d’euros pour l’envoi d’une assistance militaire à l’Ukraine, y compris en matière de cybersécurité.

Ce dernier élément, la cybersécurité, doit particulièrement retenir notre attention. Nous savons désormais que les conflits sont hybrides, et la guerre en Ukraine n’y dérogera pas. Il nous faut sensibiliser les acteurs et les entreprises de toute taille, pour les inviter à muscler leur dispositif de protection et de vulnérabilité face à ce type d’attaques. Trop souvent, les cibles d’attaque cyber restent muettes, par honte ou par méconnaissance, alors même qu’une entreprise européenne sur huit aurait déjà été la cible d’une attaque. C’est en brisant ce tabou et en renforçant activement notre cyberrésilience que nous parviendrons à nous défendre collectivement et à surmonter de telles crises.

Car nous le savons, notre Union se construit souvent dans les crises. L’acuité de la crise que nous connaissons actuellement le manifeste, je crois, avec éclat : la force des turbulences ne nous laisse plus d’autres choix que de garantir une Europe stratège, au service de ses citoyens. Ce monde, dur et instable, exige une Europe puissante, une Europe autonome, une Europe capable de peser avec force dans une économie et une géopolitique en pleine restructuration. Nous, parlementaires nationaux et européens, avons tout notre rôle à jouer en ce sens, et il nous faut nous aussi soutenir résolument la résistance ukrainienne.

À cette fin, l’urgence des urgences, et l’actualité ne laisse aucun doute sur ce qui arriverait si nous échouions, est de devenir un acteur de sécurité crédible. Cela implique de renforcer notre capacité d’action et de devenir un partenaire fiable, prévisible, toujours présent. En travaillant sur une boussole stratégique claire, ambitieuse et réaliste, l’Union fait un pas considérable vers une réelle souveraineté en matière de sécurité et de défense. Car s’entendre pour identifier les menaces et les défis, c’est naturellement se mobiliser pour y faire face.

Un Europe stratège, c’est aussi une Europe qui identifie ce que sera l’économie de demain, et qui se donne les moyens d’y prendre toute sa part. Nous sommes la deuxième puissance économique mondiale. Nous devons à nos citoyens, à nos enfants, de le demeurer dans la nouvelle économie du numérique et de la transition climatique qui se dessine.

Je voudrais également souligner ici que l’Europe prospérera seulement si elle est capable de mieux entendre les difficultés, les inquiétudes et les espoirs de ses citoyens.

L’Assemblée nationale a voulu elle-aussi apporter sa contribution à cette exigence de proximité, à cette nécessité de retisser ce lien encore trop fragile entre nos peuples et les institutions. C’est pourquoi nous avons choisi, de façon novatrice, d’organiser nos conférences thématiques en régions, au plus près des territoires concernés par les sujets que nous abordons. Les thèmes qui nous réunissent aujourd’hui sont ainsi en lien direct avec les préoccupations exprimées par nos concitoyens. Et c’est l’occasion pour moi de partager ma conviction que c’est en sachant mieux parler du quotidien, en abordant les défis considérables telle la transition climatique en termes concrets et très réalistes, en saisissant toutes les implications, comme le tourisme durable, que nous parviendrons à ce qui est mon grand espoir : arrimer l’Europe dans le cœur des citoyens, et faire qu’ils se l’approprient comme leur démocratie, à leur service.

Porter des priorités c’est aussi et surtout faire partager une vision commune, semer quelques graines dans les esprits pour rapprocher nos visions des vulnérabilités, des forces et des défis de notre avenir commun.

Malheureusement il n’a pas été possible de conduire la conférence de ce jour à Toulouse, capitale de l’espace, pour les raisons que nous connaissons tous. Mais nous aurons le plaisir de vous accueillir les 20 et 21 mars dans le val de Loire où chacun des thèmes qui y seront abordés, la PAC et l’alimentation, les fonds régionaux aux services de la transition énergétique, le tourisme durable trouvent un écho concret, quotidien.

Je crois malgré tout que les deux thèmes choisis pour notre conférence aujourd’hui sont précisément parmi les piliers de ce que sera l’économie du vingt-et-unième siècle.

Il y a d’abord la question culturelle. Il faut être lucide, pour exister, une civilisation repose sur sa capacité à rayonner culturellement, à faire entendre et partager ses idées, ses projets et ses rêves. La culture est sans doute l’élément central de ce qu’on appelle le soft power, qui pèse tant dans la force des États.

Or, nous sommes ici à une heure de vérité.

Nous bénéficions en Europe, depuis toujours, d’industries culturelles et créatives d’une incomparable qualité et d’un rayonnement exceptionnel. Mais la pandémie les a terriblement affectées, avec près d’un tiers de perte de chiffres d’affaires, précisément au moment même où l’hégémonie américaineresserrait son étreinte sur le secteur. La révolution digitale a en effet conduit à un bouleversement des modes de création, de production, de diffusion et de consommation. Et nous ne sommes pas loin d’une situation où les grandes plateformes telles Netflix ou Amazon, pourront se comporter exactement comme se comportent certains acteurs de la grande distribution à l’égard des petits producteurs : devenir des donneurs d’ordre, en monopole, dictant leurs conditions et leurs prix à la production culturelle mondiale.

Cela leur est d’autant plus aisé que l’absence totale d’harmonisation entre nous, je pense notamment au maquis des conditions fiscales et sociales fixées par chaque pays aux productions d’œuvres culturelles, complexifie chaque jour la tâche de ceux qui veulent entreprendre en Europe.

L’autonomie, la diversité de nos créations, et même notre regard « européen » sur le monde sont des atouts inestimables. Je sais combien l’Union, et nos courageux acteurs du secteur travaillent à des solutions audacieuses pour sortir de ce piège. Nous en débattrons je l’espère avec imagination et espoir, et je suis heureuse que l’Assemblée ait mis ce thème en haut de la liste de nos préoccupations immédiates.

Une autre condition sine qua non pour exister dans l’économie de demain, un autre devoir de l’Europe stratège, se retrouve dans l’espace.

Le champ des applications du spatial s’étend de manière considérable chaque jour, et il pourrait couvrir à terme la plupart de nos activités humaines. Je pense à la gestion de l’énergie, au travers de la surveillance du réchauffement climatique, au développement des nouveaux modes de transports, avec l’aide au positionnement des véhicules, navires et avions, à la numérisation exponentielle de l’économie via les objets connectés, aux acteurs de la défense …

Ces potentialités gigantesques attirent de nouveaux acteurs, à la puissance financière inégalée. Songeons ainsi qu’en 2020 la société américaine Space X a lancé 1 278 satellites dans le cadre de son projet Starlink ! Face à ces acteurs privés, nous devons préserver notre capacité industrielle et lui donner tous les moyens nécessaires pour entrer de plain-pied dans l’économie de l’espace.

À cet égard, mais notre débat permettra sans doute d’approfondir cette question, je pense qu’il nous faudra demeurer attentif, là comme ailleurs, à soutenir nos « champions » européens, en les mettant à égalité avec leurs concurrents grâce à l’indispensable taxe carbone aux frontières ou au travers d’une politique de la concurrence modernisée. Et nous devrons mieux encourager la création d’un écosystème viable et efficace avec les nombreuses start-up qui portent les innovations de demain. Rien ne serait plus erroné que de ne soutenir que l’un ou l’autre de ces acteurs, car pour exister dans l’espace, il faut à la fois des capacités exceptionnelles et des idées audacieuses, dont nous avons la chance de disposer.

Cette nouvelle économie de l’espace génère aussi, logiquement, de nouveaux champs de conflictualité. Nous voyons bien qu’une nouvelle course aux armements s’est engagée avec les tirs anti-satellitaires observés récemment, la multiplication du déploiement des satellites militaires et les preuves de plus en plus tangibles d’un espionnage de vaste ampleur dans l’espace.

Nous ne pourrons agir, nous défendre et déployer nos forces qu’ensemble, tant les défis requièrent des moyens considérables.

L’Europe a toujours su prendre la mesure de ces défis, je pense au succès de Galileo qui nous permet de disposer d’une autonomie stratégique en matière de navigation globale par satellites. Je pense aussi à Copernicus qui nous donnera une capacité unique au monde pour collecter des données sur l’état de la Terre face au réchauffement climatique. Je n’oublie pas le projet de « constellation de connectivité » dont nous parlera Thierry Breton, pour nous doter de communications sécurisées et de capacités de surveillance pour protéger nos objets dans l’espace.

Comme pour la culture, nous avons besoin d’une vision européenne stratégique commune, d’une Europe stratège, qui mobilisera toutes ses forces pour la nouvelle révolution industrielle que nous promet l’espace.  L’effort financier devra être à la mesure des enjeux, surtout lorsque l’on compare, certes un peu vite car beaucoup dépend des États membres, les 6,5 milliards d’euros dédiés à la politique spatiale par l’Union européenne pour les cinq prochaines années, aux 60 milliards de dollars que dépensent chaque année les Etats-Unis.

Vous l’aurez compris, nous sommes ravis de pouvoir échanger avec vous sur des sujets qui nous paraissent brûlants d’actualité et au cœur de notre ambition d’une Europe stratège. Comme le dit avec humour Jean-Louis Bourlanges, président de notre commission des Affaires étrangères, nous voici désormais à la seconde phase du couple, celle de la famille : fini le temps de se regarder droit dans les yeux, c’est vers le monde, et vers l’avenir que nous devons tourner nos regards.

Je suis impatiente d’entendre vos contributions et je devine déjà combien vos débats seront dynamiques et fertiles en idées originales. Car je crois que c’est dans notre dialogue, dans nos échanges que nous faisons avancer nos réflexions communes, que nous nous donnons les moyens de savoir ce que peut faire l’Europe, et que nous servons ainsi avec enthousiasme les intérêts de nos concitoyens.

Je vous remercie,