Journée nationale d’hommage aux Harkis, aux Moghaznis et aux personnels des diverses formations supplétives et assimilés en reconnaissance des sacrifies qu’ils ont consentis et des sévices qu’ils ont subis du fait de leur engagement au service de la France lors de la guerre d’Algérie.

 

DISCOURS DE PATRICIA MIRALLES, SECRÉTAIRE D’ÉTAT AUPRÈS DU MINISTRE DES ARMÉES CHARGÉE DES ANCIENS COMBATTANTS ET DE LA MÉMOIRE.

Longtemps, dans notre histoire nationale, la voix des Harkis et des autres supplétifs de l’armée française mobilisés pendant la guerre d’Algérie a résonné dans le silence. En ce 25 septembre, nous sommes à nouveau réunis pour revenir sur ces années d’ignorance et, à défaut de pouvoir les effacer, contribuer à les dissiper.

L’histoire des Harkis a nourri une mémoire douloureuse et lancinante car elle est tissée d’abandon, de relégation et d’oubli. C’est une histoire qui se découvre encore, qui heurte, qui choque, qui laisse interdit, quand on constate à quel point la France a pu manquer à sa parole et la République à ses promesses.

L’histoire des Harkis, c’est d’abord l’histoire d’un engagement, celle de soldats au service d’un pays dont ils attendaient tant. Ils se sont engagés dans les montagnes de Palestro, dans le Constantinois, dans les Hauts Plateaux et ailleurs en Algérie.

Avant eux, leurs pères avaient combattu l’envahisseur nazi en Italie ou dans le sud de la France. Leurs grands-pères s’étaient déjà illustrés sur les champs de bataille de la première guerre mondiale.

C’est ensuite l’histoire d’un abandon répété deux fois, sur chacune des deux rives de la Méditerranée. Le premier a lieu en Algérie car, quand la guerre prend fin pour les soldats français venus de métropole, les représailles s’abattent sur les Harkis et leurs familles qui découvrent avec horreur l’irréversibilité des choix. Des milliers d’entre eux se voient refuser l’embarquement pour la France et sont abandonnés à un avenir sanglant.

Ceux qui parviennent à rejoindre le pays pour lequel ils ont combattu font l’expérience d’un second abandon. Avec leurs familles, ils ne sont pas accueillis, et pour beaucoup sont parqués dans des camps, des hameaux de forestage, dans des conditions où la précarité le disputait à l’indignité.

Pourtant, dans ce voyage par-delà l’indifférence, dans cette tragédie d’un exil redoublé, certains Harkis ont pu bénéficier de l’aide de celles et de ceux qui n’avaient pas perdu de vue ce qu’est la France quand elle est fidèle à elle-même.

C’est un jeune lieutenant devenu général qui, dans les soubresauts de la déchirure, place sa parole d’officier donnée à ses soldats au-dessus des ordres reçus.

C’est cette institutrice de Rivesaltes ou cet instituteur de l’Orne qui, quelques années après être sortis de l’école normale, ont refusé de considérer différemment ces élèves, accomplissant ainsi la promesse de l’école républicaine.

L’histoire tourmentée des Harkis, c’est aussi l’histoire de la France, et personne ne saurait nier que leur mémoire fait et doit faire pleinement partie de celle de notre Nation. Ce fut une trop grande injustice qu’on leur refuse le droit à l’histoire.

Ils ne méritaient pas d’être absents de notre histoire nationale, et nous reconnaissons aujourd’hui la place qu’ils y occupent.

Cette indifférence dont ils ont souffert pendant des décennies, le Président Jacques Chirac a enclenché le mouvement de son renversement. Le Président Macron lui a donné une dimension nouvelle, demandant pardon au nom de la République. Aujourd’hui, nous le poursuivons, dans la conscience de sa nécessité et avec l’exigence de la vérité.

Mais tous les hommages réunis, quand bien même ils durent depuis 20 ans, ne suffiront jamais à panser la plaie encore vive de la tragédie vécue par les Harkis, par tous les autres supplétifs, par leurs épouses et leurs veuves, par leurs filles et leurs fils.

Les Harkis ont besoin que l’État se souvienne de la détresse et des immenses difficultés qu’ils ont connues. Et il est juste que la France s’acquitte de la double dette qu’elle a contractée à leur égard : une dette de reconnaissance et une dette de réparation.

Il y a deux ans, le Président de la République a entendu leurs attentes et a réparé ce que la République n’avait pas encore reconnu. La demande de pardon qui a été prononcée à cette occasion était en même temps une reconnaissance des fautes de notre pays vis-à-vis des Harkis.

Dans le prolongement de ces mots que toutes les générations de Harkis ont attendu depuis 60 ans, la loi du 23 février 2022 qui porte reconnaissance de la Nation envers les Harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat.

Avec cette loi, le Gouvernement a voulu continuer de cheminer sur la voie de la réparation pour les Harkis. C’est de cette volonté qu’est née l’ouverture du droit à réparation pour les harkis et leurs familles qui ont séjourné dans des camps de transit et des hameaux de forestage entre mars 1962 et la fin de l’année 1975.

Entre février 2022 et aujourd’hui, vous êtes nombreux, avec vos familles, à avoir déjà perçu cette indemnité de réparation. Très concrètement, ce sont plus de dix mille dossiers qui ont reçu un avis favorable, pour un montant moyen de plus de 8 500 euros. La somme totale versée par l’Etat dépasse, elle, les 73 millions d’euros.

À ce jour, l’ONaCVG, l’organisme gestionnaire du droit à réparation, a soldé les versements pour la première génération de Harkis dont les dossiers avaient déjà été déposés. Je m’en réjouis et l’en félicite : Cette réparation intervient tard, il ne faudrait pas qu’elle intervienne trop tard. À ma demande, les dossiers des Harkis les plus âgés seront traités en priorité.

Pour ce droit à réparation, vous savez que la Commission nationale de reconnaissance et de réparation a recommandé d’étendre la liste initiale des sites concernés à 45 nouvelles structures. Je suis heureuse de vous annoncer que la Première Ministre Elisabeth BORNE a décidé de suivre cette recommandation. Le décret d’application a été publié au Journal officiel, il y a 2 jours, le 23 septembre.

Tous les crédits nécessaires seront inscrits au Projet de loi de finances pour l’année prochaine. Le Gouvernement en tire les conséquences : les moyens budgétaires et humains de l’ONaCVG seront accrus pour accélérer le traitement des dossiers.

Peut-être que parmi vous, certains ont reçu un versement du Fonds de solidarité. Ce dispositif de compensation, ouvert par décret à la fin de l’année 2018, est forclos depuis décembre 2022.

Cette année, ce sont plus de 12 millions d’euros qui ont été versés aux enfants de Harkis afin de les aider dans 4 domaines dont ils furent souvent privés pendant leur enfance dans les camps : la santé, le logement, la formation ou l’insertion professionnelle.

Depuis le premier versement en 2019, 40 millions ont été consommés par le Fonds de solidarité. Ces crédits, je me suis battue pour en disposer. Car j’ai grandi avec les enfants de Harkis, j’ai partagé avec eux les bancs d’écoles, les places publiques et les terrains de sport. Je sais la douleur qui est la leur, je connais son origine et les façons dont elle s’exprime.

Parce que ce jour d’hommage est aussi celui où les erreurs et les fautes doivent être reconnues, je tiens à revenir sur les 27 tombes d’enfants de Harkis découvertes en mars à proximité de l’ancien camp de Saint-Maurice l’Ardoise, dans le Gard.

Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet. Certaines étaient justes et précises, d’autres l’étaient moins.

Ces 27 corps nous font signe et nous disent qu’ils sont morts dans des conditions qui, ailleurs en France, n’auraient pas été tolérées. Les conditions de leur inhumation ne l’auraient pas davantage été.

Les recherches montrent que ces enterrements avaient quelque chose de provisoire. Et, si le provisoire a demeuré, si les sépultures sont restées puis ont été effacés de nos mémoires, c’est une fois de plus à cause de l’abandon.

Il nous revient donc de panser les blessures de l’oubli, et pour cela d’accompagner les familles dans la réalisation de leurs volontés.

Je me suis engagée, comme je l’ai dit aux parents du petit Raoul, à ce que ces familles puissent choisir librement le devenir des corps. Qu’elles décident de les récupérer pour procéder à une inhumation dans le lieu de leur choix, ou qu’elles souhaitent les conserver sur place, avec la construction de sépultures et d’un mémorial, l’État sera au rendez-vous et les soutiendra.

Mon Ministère a demandé à l’ONaCVG et au préfet du Gard de recueillir les souhaits des familles et d’accélérer la construction d’un cadre de recueillement qui soit à la hauteur du déchirement qu’elles ont connu.

Aujourd’hui, face à la douleur et à l’espoir renaissant des familles, je veux vous redire que mon engagement pour la poursuite des fouilles est entier et qu’il ne souffrira d’aucune faiblesse. Je veux que la lumière soit faite, dans le Gard et partout où cela sera nécessaire.

Pour que l’histoire de ces inhumations et de leur oubli soit établie de façon objective, j’ai demandé à la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les Harkis, créée par la loi du 23 février 2022, de se saisir du dossier.

La mémoire de ces enfants, comme celle des Harkis, a été maltraitée, fragmentée, évitée. Une fois sortis des camps, ils n’ont pas oublié, c’est impossible, mais ils y ont laissé les mots qui s’y rattachent.

En tant que Secrétaire d’État  chargée de la mémoire, il me revient de vous dire que l’histoire des Harkis n’est pas une histoire indicible. Il est vrai qu’elle a souvent été tue, par la France ou par la première génération de Harkis. Alors j’aimerais que demain, plus un seul Français, lorsqu’il s’interroge sur cette période difficile, ne s’entende répondre « n’en parlons plus ».

Avec nous, dans cette cour, il y a des collégiens et des lycéens. Je tiens à saluer leur présence en ce jour d’hommage. Par celle-ci, par leur diversité, ils représentent l’ensemble de la jeunesse française qui, après avoir entendu ces mots, est en droit de demander à ce qu’on leur enseigne la vérité sur l’histoire indissociable de ces combattants Harkis et de la France. 

J’ai entendu la proposition de plusieurs grandes associations de créer une fondation dédiée à la mémoire des Harkis et de leurs familles. La commission nationale indépendante Harkis a préconisé d’engager une réflexion sur cette proposition. J’ai décidé de faire mienne cette idée, car je pense que c’est une réflexion qui mérite d’être menée en nuances et en profondeur.

Je vais donc confier au contrôle général des armées une mission exploratoire et prospective sur la création d’une telle fondation, sur les missions qui lui reviendraient et sur la manière dont elle pourrait s’articuler avec les fondations déjà existantes.

Aujourd’hui, si nous voulons éviter de nous égarer sur les chemins obscurs qui conduisent là où l’avenir ne construit plus rien, il est indispensable de consolider les liens profonds, parfois abimés, qui unissent la France et chacun de ses enfants. 

Je sais qu’aujourd’hui encore, de nombreux Harkis tiennent le récit des traumatismes qu’ils ont vécus en le conjuguant au passé, mais en le vivant au présent. Pour trouver l’apaisement, il nous faut persévérer dans le travail de conciliation des temps et des mémoires que nous avons en commun. 

Nous devons continuer de prouver, toujours et partout, que la communauté de destin qui existe entre les Harkis, leurs descendants et la France, si elle a été trop longtemps oubliée par la République, est désormais reconnue et solidement établie.

Le Gouvernement continue d’œuvrer pour que, demain, entre l’histoire de France et la mémoire des combattants Harkis, il ne demeure plus de distance triste. 

Vive la République

Vive la France

L’engagement de troupes étrangères dans les forces armées françaises remonte à la colonisation de l’Algérie en 1830 lorsque des tribus d’indigènes prêtent allégeance à la France. Les régiments de supplétifs s’illustrent dans la plupart des campagnes militaires de 1850 à 1914, date à partir de laquelle ils se sont mobilisés dans les troupes de l’Armée d’Afrique. A ce titre les régiments de tirailleurs nord-africains sont, avec les Zouaves, parmi les plus décorés de l’armée française. Comme en Indochine, le déclenchement de la guerre d’Algérie relance l’emploi des supplétifs.

Le mot “harki” dérivé du mot arabe “haraka” qui veut dire “mouvement” désigne des groupes militaires très mobiles, engagés dans des unités bien spécifiques.

Le registre de l’armée française compte plus de 160.000 harkis engagés tout au long de la guerre. En 1962, près de 80.000 d’entre eux seront accueillis en métropole fuyant les représailles du front de libération nationale (FLN).